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    Azuchi-Momoyama jidai

    les 3 unificateurs du japon

     

    ODA Nobunaga (1534-1582)

    Après une longue période de guerres civiles (Sengoku Jidai) et la fin du shogunat des ASHIKAGA (1573), l'archipel nippon est réunifié sous la férule de trois dictateurs militaires. Alliés entre eux, ils vont réduire la résistance des autres grands seigneurs féodaux (daimyo) et détenir entre leurs mains, à tour de rôle, les destinées du Japon. La période correspondant au faîte de leur puissance (1573-1616) est appelée "époque d'Azuchi-Momoyama" d'après les noms de célèbres châteaux des deux premiers d'entre eux.Oda Nobunaga (1534 -1582), Nr. T01

    Au départ, ODA Nobunaga devient l'un des quelque trente daimyo qui se partagent le contrôle de l'archipel nippon dans les années 1550-1560. Mais, à partir de 1568, il se hisse à une position dominante et s'approprie tous les pouvoirs. Il s'empare de Kyoto et s'impose comme le "protecteur" de l'empereur du moment, OGIMACHI, et du dernier shogun ASHIKAGA, ensuite exilé par lui (1573). Il continue néanmoins à combattre jusqu'à ses derniers jours pour assurer sa suprématie sur les régions centrales du Japon. Ses succès acquis par les armes sont couronnés par son accession au poste de shogun, accordée par une cour impériale moribonde mais qui conserve le prestige d'attribuer des titres (1582).
    Cependant, avant d'en arriver là, le jeune Nobunaga doit surmonter de sérieux handicaps. Toute sa vie, il fera figure de parvenu, car non issu d'une lignée de guerriers prestigieux, mais fils d'un vassal aux origines obscures du clan SHIBA, ODA Nobuhide (1510-1551). Ce dernier s'est cependant rendu maître du château de Nagoya et constitué un fief dans la riche province agricole d'Owari. Mais, pour recueillir son héritage, Nobunaga doit écarter ou éliminer la plupart des autres membres de sa famille.

    Une étape décisive est ensuite franchie quand Nobunaga défait et tue son rival à l'est de ses terres, le daimyo IMAGAWA Yoshimoto, seigneur de Totomi, à la bataille d'Okehazama (1560). À la tête de provinces proches du centre du Japon, il se met à rêver d'un destin national et d'une progression militaire vers Kyoto, afin d'y devenir le nouvel homme forOda Nobunaga attaquant le camp Imagawat du Japon et de le réunifier sous sa bannière. Outre cet atout géographique, il va faire avancer son projet par un habile mélange de recours à la guerre, à la diplomatie et aux alliances matrimoniales. Ainsi, il parvient à s'entendre avec le jeune daimyo MATSUDAIRA Motoyasu (futur TOKUGAWA Ieyasu), pourtant à l'origine allié de ses ennemis les IMAGAWA.

    Le sort des armes favorise décidément Nobunaga puisque, se rapprochant de la capitale, il s'empare de la province de Mino, puis fonde le château et la ville de Gifu (1567). Même si ses conquêtes et le nombre de ses vassaux augmentent, il s'appuie en priorité sur ses très proches parents, comme l'un de ses frères ou son fils aîné, ou un groupe d'hommes lui devant tout, comme KINOSHITA Tokichiro (le futur TOYOTOMI Hideyoshi).
    Devenu un acteur politique incontournable dans le centre du Japon, Nobunaga prend le contrôle de Kyoto (1568). Après avoir mis au pas l'empereur et le shogun ASHIKAGA Yoshiaki, il réduit avec brutalité l'autonomie acquise par les moines soldats de la secte Tendai du mont Hiei (1571) ou les ligues de ruraux révoltés ikko ikki de la secte Jodo shin-shu.

    En outre, Nobunaga défait successivement tous les daimyo qui tentent de lui résister, même si, un temps, TAKEDA Shingen (1521-1573), illustre chef de guerre maître de la province de Kai, semble devoir lui tenir tête. Mais, après la mort de celui-ci, son héritier, allié aux ikko ikki, est battu à Nagashino (1575) par Nobunaga, TOYOTOMI Hideyoshi et TOKUGAWA Ieyasu. Cette bataille marque un tournant dans l'art de la guerre et une rupture avec l'esprit de chevalerie tels qu'ils sont pratiqués jusque-là au Japon.The Battle of Nagashino - 'The Military Revolution' by Geoffrey Parker - Cover Art
    Car, sur le plan stratégique, le pragmatique Nobunaga est le premier à saisir l'importance de l'utilisation des mousquets à mèche et des fantassins légers (ashigaru), face à la cavalerie lourde que ses adversaires prennent encore pour la reine des batailles. Aussi, il s'emploie à faire copier les arquebuses venues d'Occident, quitte à faire les yeux doux aux "Barbares du Sud" (Namban), Portugais et Espagnols, afin de s'en procurer. Ainsi, à Nagashino, un corps de 3 000 arquebusiers (teppo ashigaru) constitué par Nobunaga joue un rôle crucial au cours de l'affrontement. Alignés sur trois rangs derrière une palissade, ils déciment de leur feu nourri la charge de la fière cavalerie des TAKEDA.

    En 1576, Nobunaga se fait construire une somptueuse résidence, une forteresse avec donjon, à Azuchi (province d'Omi), qui deviendra le modèle de ce genre de château édifié par la suite au Japon. Il prend également des mesures concrètes pour raffermir sa dictature militaire. Pour mettre un terme à la confusion entre les classes sociales qui s'était établie durant le Sengoku Jidai, il sépare strictement les militaires des paysans, désarmés par une "chasse aux sabres" (katanagari). L'établissement d'un cadastre à l'échelle de toutes les provinces sous sa domination est aussi décidé afin de servir de base à la perception des impôts.
    Néanmoins, Nobunaga doit encore combattre les ikko ikki et leur temple-forteresse, le Hongan-ji d'Ishiyama, se trouvant sur le site de la future Osaka (1580). Il doit aussi en finir avec les TAKEDA et une coalition de daimyo de l'ouest du Japon s'opposant à lui. Après avoir été nommé shogun, Nobunaga, en visite à Kyoto, est attaqué dans le Honno-ji. Ce temple est encerclé et incendié par l'un des propres généraux, AKECHI Mitsuhide, qui le rend responsable de la mort de sa mère. Le premier unificateur s'y suicide en compagnie de son fils aîné (1582).

    TOYOTOMI Hideyoshi (1536-1598)

    ODA Nobunaga est promptement vengé par un autre de ses généraux, TOYOTOMI Hideyoshi, qui dirige les troupes combattant les daimyo de l'Ouest. Hideyoshi défait AKECHI Mitsuhide à la bataille de Yamazaki (1582). Il fait alors donner le titre de shogun à un fils cadet de Nobunaga,mais va tout de suite concentrer sur sa personne les rênes du pouvoir et devenir le deuxième unificateur du Japon.
    Celui Toyotomi Hideyoshi (1536 -1598); Nr. T50qui finit par s'appeler TOYOTOMI Hideyoshi a d'abord porté divers noms et s'est inventé, la gloire venant grâce au métier des armes, un pedigree prestigieux pour masquer sa très humble origine. Il est le fils d'un paysan d'Owari, en temps de guerre fantassin léger des ODA. Après s'être essayé à différents apprentissages auprès d'artisans, il opte pour une carrière militaire. Il se place d'abord sous les ordres d'un vassal des IMAGAWA, ennemis des ODA, avant de finalement rallier le camp de Nobunaga (1558).

    Malgré son physique particulier, qui le fait surnommer "le singe" (saru) par Nobunaga, Hideyoshi sait faire valoir ses nombreuses qualités au service de son nouveau maître, y compris un sens consommé de l'intrigue. Désormais, il est de toutes les guerres menées par Nobunaga et reçoit en récompense divers fiefs et châteaux, dont celui d'Himeji, dans l'ouest de Honshu.
    Après la mort de Nobunaga et après avoir neutralisé ou éliminé d'autres prétendants possibles, Hideyoshi recueille son héritage. Il fortifie sa position dominante sur les provinces centrales et poursuit l'unification du Japon. Suite aux batailles sans grand résultat de Komaki et de Nagakute, il fait la paix avec TOKUGAWA Ieyasu, évitant que ce dernier ne devienne son plus puissant opposant (1584). Dans le même temps, sur les ruines du temple-forteresse des ikko ikki, il fonde le château et la ville d'Osaka.

    Maître du Japon dans les faits, sa très modeste origine lui interdit d'être nommé shogun. Il fait alors "exhumer" pour lui le titre, remontant à la période de Heian, de kampaku ("régent de majorité" de l'empereur) et se fait adopter (1585) par la famille FUJIWARA, à laquelle il est réservé depuis lors.
    Dans les années qui suivent, Hideyoshi s'applique à "pacifier" définitivement l'archipel nippon, en soumettant les daimyo qui lui résistent encore à Kyushu, à Shikoku et dans le nord de Honshu. Il fait détruire leurs châteaux et s'attribue leurs terres ou les répartit entre ses partisans. Les daimyo sont hiérarchisés par un classement qui évalue en koku (180 litres) la récolte annuelle de riz dans leurs domaines. Ils sont assujettis à Hideyoshi par un système qui les obligent à venir lui rendre ponctuellement visite et à laisser leur famille en otage à Kyoto.

    Hideyoshi s'y est d'ailleurs fait construire les châteaux du Jurakutei, puis de Momoyama, où il joue les mécènes et s'adonne au plaisir de cultiver les arts, comme certains des ASHIKAGA, sous le shogunat de Muromachi. Il peut se le permettre pour être devenu l'homme le plus riche du Japon. À la suite de Nobunaga, il a perfectionné l'établissement de cadastres et la rentrée des recettes fiscales. En outre, il se montre très attentif au développement de la prospection minière qui lui permet de battre les premières monnaies japonaises en or, notamment grâce aux gisements de l'île de Sado (nord-ouest de Honshu). Ainsi, il préfigure l'industrie du Japon moderne.
    Lui, qui a pu s'élever grâce à sa réussite en tant que combattant, enlève aux autres cette possibilité en achevant de figer la mobilité entre les classes sociales. De plus, une nouvelle "chasse aux sabres" confisque les armes des paysans sous le prétexte de construire avec une grande statue de Bouddha.

    Hideyoshi se préoccupe également du fructueux commerce avec la Chine, mais reprend aux Européens le contrôle du port de Nagasaki, concédé par un daimyo chrétien de Kyushu. Échaudé par les rivalités entre Portugais et Espagnols, il redoute surtout que l'extension du christianisme au Japon ne préfigure une tentative de conquête étrangère, et le fait interdire (1587). Il fait même supplicier 26 religieux chrétiens de Nagasaki pour l'exemple (1597).Afin d'occuper la classe toujours remuante des guerriers, il organise deux grandes campagnes de conquête de la Corée (1592 et 1597) qui, au-delà, visent la Chine. Mais elles se soldent, au final, par une déroute.
    Cependant, Hideyoshi a d'autres préoccupations en tête car vient de lui naître tardivement un fils, TOYOTOMI Hideyori (1592-1615) et il rêve de fonder une dynastie quand la dysenterie l'emporte brusquement (1598). Il a juste eu le temps de confier la garde de son cher rejeton à un conseil de régence où domine la personnalité du puissant TOKUGAWA Ieyasu.

    TOKUGAWA Ieyasu (1543-1616)

    À l'origine le plus favorisé par la naissance des trois unificateurs, TOKUGAWA Ieyasu est paradoxalement celui qui doit attendre le plus patiemment son heure. Il finit néanmoins par capter l'héritage de ses deux prédécesseurs et, contrairement à eux, fonder une dynastie shogunale durable.
    Fils du daimyo MATSUDAIRA Hirotada (1526-1549), TOKUGAWA Ieyasu naît sous le nom de MATSUDAIRA Takechiyo, au château d'Okazaki, dans la province de Mikawa. Très jeune, il est envoyé comme page - en fait otage et garant d'une alliance - auprès d'IMAGAWA Yoshimoto, ennemi des ODA. En chemin, il est capturé par ces derniers qui le retiennent un temps prisonnier, puis il regagne le giron des IMAGAWA. Après la bataille d'Okehazama (1560), celui qui se fait appeler maintenant MATSUDAIRA Motoyasu se range aux côtés d'ODA Nobunaga, qui a pris le dessus sur son père et sur son tuteur IMAGAWA.

    Dès lors, MATSUDAIRA Motoyasu va collaborer avec Nobunaga dans ses entreprises guerrières. Depuis son château d'Okazaki et le Mikawa, il étend progressivement son influence sur 5 provinces. Après la mort de Nobunaga, il combat TOYOTOMI Hideyoshi dans un premier temps, puis parvient à s'entendre avec lui.
    Entre-temps, il a obtenu de la cour impériale, dès 1566, de s'appeler TOKUGAWA Ieyasu. L'adoption de ce nom, indice de sa très grande ambition, lui permet de rapprocher son lignage familial de celui des MINAMOTO et des ASHIKAGA. Une ascendance dont il faut se réclamer pour fonder éventuellement un shogunat comme ceux de Kamakura et de Muromachi...

    En 1590, après avoir défait avec Hideyoshi le clan des HOJO - sans lien de parenté avec les régents de Kamakura -, il transporte le centre de son pouvoir vers l'Est. Avec l'accord d'Hideyoshi, il échange ses possessions contre sa domination sur le Kanto, qui lui procure un revenu de 2 500 000 koku, faisant de lui le daimyo le plus riche du Japon. Il s'installe à Edo (future Tokyo), ancien village de pêcheurs pourvu d'un château et commençant à devenir une ville à partir de 1457.
    Désigné comme l'un des cinq membres du conseil de régence instauré avant sa mort par Hideyoshi, Ieyasu va s'approprier son héritage aux dépens de l'héritier de ce dernier. Comme Hideyoshi l'avait fait lui-même à la mort de Nobunaga. Deux coalitions de daimyo, l'une de l'Est soutenant Ieyasu, l'autre de l'Ouest acquise à TOYOTOMI Hideyori, fils d'Hideyoshi, se font alors face pour le contrôle du pays. Elles s'affrontent lors de la bataille décisive de Sekigahara (1600).

    Vainqueur, Ieyasu procède à une redistribution des fiefs de ses ennemis à ses partisans et attend sans s'impatienter - il a l'habitude - que la cour impériale le nomme shogun (1603). Ainsi est fondé le troisième shogunat (ou bakufu), celui des TOKUGAWA (ou d'Edo) qui, comme le premier, celui des MINAMOTO, a son siège dans l'est du Japon. Très préoccupé d'assurer solidement sa succession, Ieyasu transmet rapidement ce titre à l'un de ses fils (1605), mais continue à diriger les affaires du pays.
    Par tactique politique, Ieyasu se montre grand seigneur avec Hideyori, le perdant de Sekigahara, en le mariant à sa petite-fille. Mais il l'enferme néanmoins dans une cage dorée au château d'Osaka. Ce qui n'empêche pas les opposants au nouveau régime de se regrouper autour de lui. Au point qu'Ieyasu finit par faire mettre le siège autour de cette forteresse (1614-1615), puis par la faire incendier, acculant Hideyori au suicide. Le très jeune fils de ce dernier, petit-fils d'Hideyoshi et arrière-petit-fils d'Ieyasu, est également décapité. Ce dernier épisode sanglant assure l'exclusivité du pouvoir aux seuls TOKUGAWA, peu avant le décès d'Ieyasu (1616). Sa main de fer va cependant procurer au Japon deux siècles et demi de paix à venir


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    La période de Muromachi (1333-1573)

     

    La guerre civile entre les cours du Nord et du Sud (1333-1392)

    L'empereur GO DAIGO rêve d'un retour au passé et d'un rétablissement de l'autorité impériale aux dépens des HOJO, maîtres du shogunat de Kamakura. Après un complot éventé en 1324 et l'échec d'une première révolte armée en 1331, qui lui vaut un exil te

    mporaire, il fomente un nouveau soulèvement victorieux. La classe des guerriers, déçue après les combats contre les deuxtentatives d'invasion mongole de l'archipel japonais en 1274 et 1281, est en proie à l'agitation dans les cinquante années qui suivent. En outre, des petits guerriers rallient à eux des paysans mécontents, voire des hors-la-loi, et forment des bandes de "brigands" (akuto). Ensemble, ils pratiquent une forme de guérilla avant l'heure contre les troupes du shogunat et les grands propriétaires de domaines seigneuriaux. GO DAIGO recrute parmi eux des partisans. Ainsi, KUSUNOKI Masashige (1294-1336) chef akuto, fera figure d'archétype du samurai dévoué à l'empereur pour les générations futures, notamment sous l'effet de la propagande impériale et des régimes militaires nippons de la première partie du XXe siècle.

    ASHIKAGA Takauji (1305-1358) est alors l'un des plus puissants seigneurs du Japon et, en particulier, du Kanto. Dans cette région de l'Est, où se situe Kamakura, les HOJO croient conserver leurs vassaux les plus fiables. À l'origine général des HOJO chargé de mater la rébellion, ce descendant d'une branche cadette des MINAMOTO, parmi lesquels furent choisis les premiers shoguns de Kamakura, décide pourtant de prendre le parti de GO DAIGO. Les HOJO, mis en difficulté par cette défection majeure, sont également encerclés à Kamakura par un autre de leurs généraux du Kanto qui s'est aussi révolté contre eux. Ils se suicident en masse et leur défaite précipite la fin du régime de Kamakura.
    La "restauration de l'ère Kemmu", éphémère tentative par GO DAIGO de rétablir l'autorité impériale, ne dure que de 1333 à 1336. ASHIKAGA Takauji se retourne rapidement contre GO DAIGO, se trouvant injustement récompensé de son ralliement à l'empereur. Il le chasse du pouvoir et le remplace par un autre prétendant. Takauji prend peu après le titre de shogun (1338), se prévalant de sa parenté avec les MINAMOTO. 
    Takauji crée ainsi un deuxième shogunat (ou bakufu) dit de Muromachi, d'après le nom du quartier de Kyoto où s'établit le siège du pouvoir shogunal. Pour une énième fois dans l'histoire du Japon, Takauji et ses héritiers vont commander au pays au détriment d'empereurs fantoches qu'ils ont mis sur le trône à Kyoto. Ceux-ci sont d'ailleurs affaiblis par un schisme qui divise la dynastie impériale en deux factions.
    Ashikaga Takauji - Nihon no Eiyu Hyaku-nin, P.38

     

    Les monarques de cette cour dite du Nord, soutenus par les ASHIKAGA, ne verront finalement leur légitimité reconnue qu'au terme d'une longue guerre civile (nommée Nambokucho). Celle-ci partage en deux camps la classe des guerriers et s'accompagne de nombreuses destructions, y compris dans la capitale "nordiste". En face, GO DAIGO a été vaincu militairement par ASHIKAGA Takauji à la bataille de Minatogawa (1336), en partie pour n'avoir pas suivi les conseils du fidèle KUSUNOKI Masashige, qui se suicide après cet affrontement. Mais l'empereur défait se réfugie avec ses principaux soutiens dans les régions montagneuses et boisées de Yoshino, dans le Kinai, non loin de Nara. Lui et ses descendants y forment une cour du Sud et opposent une tenace résistance armée, avant de devoir s'incliner en 1392. À ce moment, les belligérants s'entendent pour voir régner le seul empereur GO KOMATSU de la cour du Nord, à la condition que soit rétablie la règle antérieure d'une alternance du pouvoir entre les deux factions. Mais l'accord n'est finalement pas respecté et la cour du Sud est définitivement supplantée par sa rivale.

    Les hauts et les bas du shogunat de Muromachi (1392-1467)
     

    Contrairement à leurs prédécesseurs, les shoguns ASHIKAGA choisissent de gouverner depuis la capitale impériale de Kyoto, et non depuis l'Est excentré, à Kamakura. Malgré cela, ils ne parviendront jamais à contrôler le Japon aussi bien que les HOJO et leur action gouvernementale va, dès le départ, connaître de nombreuses faiblesses. Ainsi, l'instauration d'un vice-shogunat dans le Kanto approfondi les divisions entre la branche cadette à laquelle il est confié et la branche aînée des ASHIKAGA. Dans le même temps leurs plus importants vassaux se montrent indociles. Néanmoins, l'archipel est divisé en trois entités administratives regroupant Kyoto et les régions centrales, le Kanto et Kyushu, confiées à des gouverneurs généraux (kanrei) issus de grandes familles alliées des ASHIKAGA. Cependant, les gouverneurs militaires (shugo) à la tête des provinces s'émancipent de plus en plus par rapport au pouvoir du shogun. Ces shugo-daimyo (daimyo : "grand nom") s'assurent, à titre personnel, l'appui de ligues féodales de guerriers. Ils s'emploient également à contrôler les domaines fonciers de la vieille aristocratie de la cour de Kyoto, alors en pleine déliquescence, comme la maison impériale. Tandis que les grands monastères et sanctuaires religieux parviennent davantage à préserver leurs intérêts.

    ASHIKAGA Yoshimitsu (1358-1408) devient le troisième shogun de Muromachi en 1367. Homme d'une certaine trempe, il met au pas plusieurs gouverneurs provinciaux révoltés et son "règne" voit la fin de la guerre civile. Comme les anciens empereurs retirés, il abdique en 1395 en faveur de son fils, Yoshimochi (1386-1428), et se fait moine tout en continuant à influencer fortement la vie politique du Japon. Yoshimitsu s'installe en 1397 dans la demeure de ses rêves, le Pavillon d'or (Kinkaku-ji) de Kitayama (aujourd'hui à Kyoto) . Les nobles de la cour impériale ne veulent toujours voir dans les guerriers que des rustauds ignares. Comme pour démentir cette analyse retardataire, Yoshimitsu cultive là son goût pour les lettres chinoises, l'étude érudite du Zen ou le théâtre Nô, alors à ses débuts. Dans ce petit paradis, à l'écart du monde, s'épanouissent ainsi les fondements d'une culture dite de Kitayama.


    Depuis sa retraite, Yoshimitsu diligente aussi une reprise officielle (1401-1419) des relations commerciales avec la dynastie chinoise des Ming (1368-1644), avec envois d'ambassades. Mais ces échanges s'interrompent rapidement sous le shogun Yoshimochi, qui les fait capoter, en partie par haine de son père ou bien trop occupé à faire tuer son frère. Mais, surtout, ces activités vont être durablement mises à mal par les attaques des pirates japonais (waco) contre les côtes chinoises et coréennes. Le shogunat de Muromachi se révèlera incapable de les arrêter. Cependant, ses insuffisances profitent aux grands monastères et aux gouverneurs militaires provinciaux (shugo-daimyo) qui reprennent à leur compte le profitable commerce avec les Ming.

    Les affaires des ASHIKAGA ne vont pas s'arranger avec le cordialement détesté Yoshinori (1394-1441), qui tente de renforcer son contrôle sur le Kanto et de réduire la puissance des gouverneurs militaires. Mais, il est assassiné par l'un de ses vassaux, évènement dont ne se relèvera jamais vraiment cette dynastie shogunale . Malgré une époque troublée, parmi une bourgeoisie urbaine en développement se signale, spécialement dans le centre du Japon, le groupe des prêteurs d'argent. Outre ces profiteurs d'une première économie monétair

    e japonaise à base de pièces chinoises, les fabricants de saké (alcool de riz) prospèrent également. Tous sont d'ailleurs vite taxés par un shogunat toujours plus avide de rentrées fiscales. Certains agriculteurs se convertissent à des métiers liés au transport, comme les loueurs de chevaux de Sakamoto, près du mont Hiei et de Kyoto. D'autres s'enrichissent en devenant marchands, voire armateurs. En revanche, dans les campagnes, les paysans s'appauvrissent et sont de plus en plus ponctuellement menacés par la famine. À partir de 1428 et tout au long du XVe siècle, les jacqueries se multiplient, dans les régions périphériques mais aussi aux portes de Kyoto. On voit ainsi des petits guerriers (ji-samourai) endettés s'unir aux paysans dans des ligues militaires (ikki) et entreprendre des soulèvements contre les usuriers et les seigneurs féodaux. Les turbulents loueurs de chevaux se joignent souvent à eux. Nombre de ces révoltes, à l'échelle d'une ou plusieurs provinces, exigent par la force et obtiennent de la part du shogun ASHIKAGA en poste des actes d'annulation des dettes (tokusei). Les observateurs de cette époque assistent donc à la défaite des plus puissants par les paysans et les couches les plus miséreuses de la population, qui n'avaient compté pour rien jusque-là dans la société. Il leur semble donc voir advenir un "monde à l'envers", dans lequel "ceux du bas dépassent ceux du haut" (gekokujo).

    L'"Époque des pays en guerre" (1467-1573)

    Le Japon n'en finit pas de connaître des boulversements suite aux défaillances de la lignée shogunale des ASHIKAGA. Ainsi, de 1467 à 1477, une querelle de succession provoque un nouveau conflit, dit de l'ère Onin, qui déchire l'archipel. En 1464, ASHIKAGA Yoshimasa (1435-1490), huitième shogun de Muromachi, sans héritier, adopte son frère cadet Yoshimi, ancien moine bouddhiste choisi pour lui succéder. Mais, un fils, Yoshihisa, lui naît alors de son épouse Tomiko, qui veut en faire l'héritier de son père. Deux camps se forment pour soutenir les deux prétendants, menés par deux clans pourtant apparentés, les HOSOKAWA et les YAMANA. Leur opposition devait se perpétuer, même après la mort des dirigeants des deux parties et que Yoshihisa soit reconnu comme shogun.


    Cette guerre de l'ère Onin ravage une nouvelle fois Kyoto et, sur le plan tactique, confirme l'importance grandissante des ashigaru. Ces fantassins légèrement armés, qui sont recrutés parmi la paysannerie, quand le besoin s'en fait sentir, évincent le samurai-cavalier, ancien roi des batailles. De son côté, Yoshimasa, sur le modèle de son ancêtre Yoshimitsu, se retire dans sa tour d'ivoire, indifférent aux vicissitudes de son temps. Il s'enferme dans son Pavillon d'argent (Ginkaku-ji) à Higashiyama (Kyoto), où s'épanouit une culture du même nom. Il s'y adonne à sa passion pour les arts, la cérémonie du thé ou le Nô. On y élabore un style architectural à l'origine de la maison japonaise traditionnelle d'aujourd'hui. Pourtant, à partir de1467, les guerres civiles vont en fait se prolonger pendant un peu plus de cent ans, une période nommée l'"Époque des pays en guerre" (Sengoku Jidai), référence historique à la Chine divisée des "Royaumes combattants" (481-221 av. J.-C.).


    Les daimyo, devenus des seigneurs féodaux quasiment indépendants et chacun maître d'un fief équivalent à environ deux ou trois départements français, s'affrontent les uns les autres. Le shogunat se révèle incapable d'arbitrer leurs rivalités. Après les shugo-daymo, apparaît au tournant du XVe siècle une nouvelle génération de sengoku-daimyo. Suite à la confusion de la guerre de l'ère Onin, le gekokujo joue pleinement. Certains des anciens gouverneurs militaires restent en place. Mais ces personnages de haut rang sont aussi fréquemment remplacés par des vassaux devenant de grands seigneurs à leur place ; voire par des hommes neufs, de simples aventuriers non issus de lignées prestigieuses. Ces sengoku-daimyo légifèrent en toute autonomie sur leurs terres, font établir des cadastres pour maximiser les collectes fiscales, creuser des mines et battent monnaie. Malgré les conflits incessants et les déprédations de la soldatesque, la population urbaine commence à s'accroître significativement. La ville de Sakai (sud de l'actuelle Osaka) connaît un essor particulier à la fin du XVe siècle grâce au négoce avec la Chine. Des voyageurs européens bientôt en visite au Japon la compareront à Venise. La même prospérité se rencontre dans un autre port comme Hakata (nord de Kyushu). Les commerçants et les artisans font partie des gens qui s'enrichissent durant cette période et les daimyo les incitent à venir habiter autour des châteaux qu'ils commencent à se faire construire. Ces "villes nées d'un château" (joka machi), capitales de fiefs de daimyo, vont former les noyaux de nouveaux centres urbains comme, par exemple, Nagoya ou Hiroshima. Toutefois, les émeutes de révoltés ruraux continuent dans les campagnes, en partie menées par des groupements formés sur une base religieuse. Ces ikko ikki sont des ligues chapeautées par la secte Jodo shin-shu et son guide spirituel du moment RENNYO (1415-1499). Elles défont même les troupes des daimyo sur les champs de bataille et gouvernent des provinces entières, devenant notamment un potentat avec lequel il faut compter dans le centre du Japon. En 1453, intervient également un évènement lourd de conséquences pour la suite de l'histoire du Japon : un navire avec à son bord des Chinois et des Portugais rejoint l'île de Tanegashima (sud de Kyushu). Des mousquets à mèche, armes inconnues dans l'archipel, y sont ainsi introduits et immédiatement copiés par les forgerons locaux. En 1549, le jésuite espagnol François XAVIER (1506-1552) aborde à son tour à Kagoshima (sud de Kyushu) et commence à convertir des Japonais au christianisme, y compris des daimyo.


    Dans le même temps, la décadence de la dynastie shogunale des ASHIKAGA se poursuit, faite de dérobades, voire de fuites face aux oppositions multiples et de morts violentes. Son dernier représentant, Yoshiaki (1537-1597), tombe sous la coupe du daimyo ODA Nobunaga (1534-1582), qui le met en place, puis l'exile de Kyoto. 
    Ainsi prend fin le bakufu de Muromachi (1573).


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    La période de Kamakura

     

    L'affermissement du régime de Kamakura (1192-1221)

     

    Au cours du conflit qui oppose, de 1180 à 1185, les TAIRA et les MINAMOTO, MINAMOTO no Yoritomo, vainqueur à la tête de ces derniers, passe rapidement du statut de rebelle à celui de seul interlocuteur de la cour impériale. Le titre de shogun, donné en 1192 à Yoritomo, ne fait qu'entériner le fait que, devenu le plus puissant chef des clans guerriers, il s'est hissé à la position d'une sorte de dictateur militaire détenteur du pouvoir réel, au nom et à la place de l'empereur. Yoritomo instaure un nouveau régime dit du bakufu, littéralement du "gouvernement sous la tente", ce qui souligne son caractère guerrier, appelé également shogunat.
    Un système politique dualiste, fondé sur un fragile compromis, se met en place entre la maison impérale et la cour de Kyoto face à Yoritomo, soutenu par leurs "ennemis", les guerriers de l'est du Japon. Depuis son centre de commandement du Kanto, excentré par rapport à la capitale, le "Sire de Kamakura" a fait reconnaître par la cour sa ligue militaire, le bushidan MINAMOTO, comme la seule force armée publique. Ce qui lui confère un ascendant sur l'ensemble de la classe des guerriers.

    D'autant que Yoritomo met en place diverses institutions, notamment pour renforcer son pouvoir sur ses vassaux directs et bientôt héréditaires, les gokenin, noyau de son armée. Il s'agit de quelque 2 000 familles de guerriers possédant des droits reconnus sur un domaine par le shogun ou le Bureau des samourai, office nouvellement créé pour les contrôler. Dès 1185, l'édit de l'ère Bunji donne aussi à Yoritomo le droit de nommer certains de ses hommes liges comme protecteurs ou gouverneurs militaires d'une province (shugo), ou intendants militaires (jito) de domaines agricoles. L'administration impériale déficiente se trouve donc ainsi doublée progressivement par une organisation de vassaux attachés par des liens féodaux à leur suzerain-shogun.

    Yoritomo meurt en 1199. Même s'il s'est débarrassé de tous ses rivaux potentiels, le pouvoir qu'il désire transmettre à ses descendants n'est pas consolidé. Depuis 1177, il était marié à HOJO Masako (1157-1225), fille d'HOJO Tokimasa (1138-1215), ex-féal des TAIRA et ex-gardien de Yoritomo rallié à lui. Aux côtés de son père, habile politique, négociateur de l'édit de l'ère Bunji et gouverneur de Kyoto depuis 1185, Masako va jouer un rôle capital dans le règlement de la succession de son mari au profit des HOJO.

    Yoritomo laisse plusieurs enfants dont deux fils. Le premier, Yoriie, shogun à sa suite, tombe sous l'influence du clan HIKI,

        

     des vassaux des MINAMOTO. En 1203, ceux-ci sont écartés du pouvoir par Masako et Tokimasa, qui se décerne le poste de régent (shikken) du shogun. Yoriie est déposé puis assassiné par un homme de main des HOJO.
    Sanetomo, deuxième fils de Yoritomo et de Masako, devient alors shogun. En 1205, cette dernière et son frère, HOJO Yoshitoki (1163-1224), obligent leur père Tokimasa à se retirer pour, trop amoureux de sa seconde et jeune épouse, avoir comploté contre les intérêts des HOJO. Les vassaux des MINAMOTO les plus réticents face à l'ascension du clan HOJO sont éliminés par Masako et Yoshitoki. Celui-ci, devenu régent, concentre sur sa personne tous les pouvoirs du shogunat, surtout après la mort de Sanetomo, tué en 1219 par son neveu, fils de Yoriie. Ce meurtre crispe les relations entre Kyoto et Kamakura. GO TOBA, l'empereur retiré, tente alors de redonner la première place à la maison impériale en se retournant contre Yoshitoki. Mais, aidé par Masako, le régent se forge une légitimité en ralliant à lui les guerriers du Kanto, principaux soutiens des MINAMOTO dont il se veut le continuateur. Il défait ensuite les troupes de GO TOBA lors de la guerre dite de l'ère Jokyu, en 1221.

     Les Hojo maîtres de Kamakura (1221-1274)

    La guerre de 1221 permet au régime de Kamakura de prendre l'ascendant sur Kyoto. La grande aristocratie de la cour impériale est désormais contrainte de partager le pouvoir avec les seigneurs provinciaux de l'est de l'archipel. Le réveil de la maison des empereurs retirés est muselé par l'envoi en exil de plusieurs de ses membres et la confiscation d'une grande partie des domaines qui faisaient sa richesse.
    Les HOJO sortent grandis de l'épreuve aux yeux des vassaux de Kamakura, et renforcent leur domination par la création d'une série d'institutions. Le chef de ce clan va continuer jusqu'en 1333 à exercer la réalité du pouvoir en tant que régent (shikken) du shogun. Un vice-régent (rensho) le seconde, également issu de la famille HOJO. Après 1221, un contrôleur militaire (tandai) et une garde spéciale surveillent Kyoto et sa cour au nom du régent. Il nomme le plus souvent à ce poste son futur successeur,

     fils aîné ou frère cadet. Cette antenne du régime de Kamakura, abritée par le Rokuhara, l'ancien palais des TAIRA, renforce l'emprise des HOJO sur la capitale. À partir de 1225, est également fondé un conseil d'État aux fonctions politiques et judiciaires de treize membres, dont le régent et le vice-régent. Les HOJO de la branche principale et leurs alliés y sont toujours majoritaires.


    À partir de 1219, le poste de shogun, dépossédé de toute autorité au profit de celui de régent, est laissé à un descendant d'une branche cadette des FUJIWARA. Par la suite, ce rôle est assumé par des princes impériaux, également fantoches des HOJO. Dès lors, le régime de Kamakura sous les régents HOJO va s'efforcer, tout au long du XIIIe siècle, de préserver la stabilité politique à laquelle il est parvenu, en rassérénant ses rapports avec la maison impériale, la cour de Kyoto et les grands monastères. Par ailleurs, un code de lois en 51 articles (Joei Shikimoku) est promulgué en 1232. Il devait perdurer, nonobstant quelques amendements, jusqu'en 1868. Soucieux de légitimer leur mainmise sur le shogunat, les HOJO s'appuient sur les préceptes du confucianisme chinois, cherchant notamment à favoriser une certaine équité en matière de justice et à préserver le statu quo social. Ils y parviennent assez bien, hormis les révoltes rapidement matées de certains vassaux turbulents, jaloux de l'exclusivité de leur pouvoir.
    Paysans et commerçants profitent du calme relatif de la période. L'agriculture augmente ses rendements grâce à des progrès techniques. La reprise du négoce avec la Chine contribue au développement des échanges monétaires, grâce à la circulation de pièces chinoises. Les grands monastères arment des navires et constituent un acteur majeur du trafic marchand avec le continent. Les bénéfices ainsi engrangés servent à la construction de nouveaux édifices religieux ou à la fonte du grand Bouddha (ou Daibutsu) de bronze de Kamakura (1252).

    Le bouddhisme japonais, dont l'audience a souvent du mal jusque-là à dépasser les cercles aristocratiques de Kyoto et Nara, connaît un renouveau dû à l'apparition de nouvelles sectes. Celles-ci mettent l'accent sur des perspectives de salut accessibles à tous, qui trouvent un grand écho parmi les couches populaires, voire les plus pauvres, et dans les provinces.
    Deux de ces sectes sont dites amidistes. La vision pessimiste du bouddhisme indien des débuts, fondée sur le renoncement en vue d'atteindre un éventuel Éveil au terme d'un cycle de réincarnations, s'est transformée dans le Japon du XIIIe siècle. On y insiste donc, selon une conception qui rappelle le Paradis et l'Enfer du christianisme, sur la possibilité d'un salut individuel centré sur la foi et l'invocation d'une divinité particulière du panthéon bouddhique. Ce Bouddha Amida recevrait les âmes des défunts dans son "Paradis de l'Ouest" ou de la "Terre pure". Après 1175, le moine HONEN (1133-1212) crée la secte de la Terre pure (Jodo-shu). En 1224, l'un de ses disciples radicalise son enseignement et fonde la Nouvelle secte de la Terre pure (Jodo shin-shu). SHINRAN (1173-1263) se montre hostile au monachisme, autorise le mariage des religieux et fait traduire, pour les rendre accessibles au peuple, les écrits bouddhiques rédigés en chinois classique.

    À partir de 1253, NICHIREN (1222-1282) commence sa propre prédication en s'appuyant sur le Sutra du Lotus, texte sacré du bouddhisme. Mais, contrairement à l'esprit de tolérance de ce dernier, sa secte (Hokke-shu ou Nichiren-shu) adopte une démarche de combativité envers ses rivales. Son nationalisme avant l'heure voudrait faire du Japon la terre d'élection de la forme de bouddhisme qu'il professe, la seule orthodoxe pour lui.

    Le Zen est un mode de pensée et de méditation emprunté à la secte chinoise Chan, qui trouve ses origines en Inde. Il connaît un regain de faveur au Japon, mais auprès des couches dirigeantes cette fois, grâce à EISAI (1141-1215), fondateur de la secte Rinzai, et à DOGEN (1200-1253) , créateur de la secte Soto. Le Zen se détourne des textes et des spéculations métaphysiques, voire du rationalisme, pour privilégier une quête spirituelle sous la conduite d'un maître, passant par l'ascèse du corps et de l'esprit, qui doit amener à l'illumination intérieure (satori). La progression du disciple vers l'éveil spirituel passe par son incitation à la réflexion à partir de questions absurdes et la méditation en position assise (zazen). La simplicité et la discipline physique et mentale préconisées par le Zen correspondent bien aux moeurs rustiques des nombreux guerriers, tenants du régime de Kamakura, qui se font ses adeptes. Il ne présente que des avantages pour les HOJO, soutenant l'équilibre social précaire, se montrant tolérant avec les autres sectes et favorisant la vie monastique, ainsi que l'ouverture du Japon sur le continent par la venue de maîtres chinois.

    Des débarquements mongols à la fin du pouvoir des Hojo (1274-1333)

    Suite à l'unification de leurs tribus par GENGIS KHAN, au début du XIIIe siècle, les Mongols, cavaliers nomades des steppes asiatiques, ont créé un vaste empire s'étendant de la Corée et la Chine jusqu'aux portes de l'Europe. En 1260, KOUBILAI KHAN, petit-fils de GENGIS KHAN, établit sa capitale à Pékin et réduit par la conquête la dynastie Song (960-1279), repliée dans le sud de la Chine. Il fonde sa propre dynastie, mongole mais au nom chinois, celle des Yuan (1279 -1368).
    Or, dès le milieu des années 1260, KOUBILAI KHAN s'intéresse au Japon et à ses richesses supposées, désirant

    achever de dominer toute l'Asie. La demande de soumission formulée par une ambassade envoyée dans l'île de Kyushu est ignorée par l'administration du jeune HOJO Tokimune, régent du bakufu de Kamakura de 1256 à 1284. Néanmoins, celui-ci organise la défense de l'archipel nippon en vue d'une attaque mongole. Une première tentative d'invasion survient en 1274. Neuf cents bateaux et vingt-cinq mille soldats mongols et auxiliaires chinois et coréens ravagent les îles de Tsushima et d'Iki avant de débarquer dans le nord du Kyushu. Après les premiers combats, une tempête oblige les envahisseurs à se retirer vers la péninsule coréenne, d'où ils étaient venus.

    En 1281, une nouvelle flotte adverse de quatre mille navires et cent quarante mille hommes rejoint le Kyushu septentrional. Les Japonais se sont préparés à cette deuxième confrontation, notamment en bâtissant sur les plages un mur peu élevé mais suffisant pour gêner les manoeuvres de la cavalerie ennemie. Cependant, les Mongols auraient sans doute triomphé sans la nouvelle intervention providentielle d'un typhon. Ce "vent des dieux" (kamikaze) détruit leur impressionnante armée.

    Ces deux victoires face à une terrible menace extérieure passent pour être celles des HOJO. Elles contribuent à une plus grande unité politique et culturelle du Japon, sous l'égide du régent, qui a su galvaniser les combattants japonais et préparer la résistance aux troupes d'invasion. Celui-ci profite d'ailleurs de la menace pour, homme de l'est du Japon, renforcer son autorité dans l'ouest de l'archipel, par la nomination de gouverneurs liés à son clan et par la mise en place d'une administration militaire et juridique spéciale à Kyushu. La nécessité d'opposer un front uni face aux Mongols a également rapproché lebakufu de Kamakura de la cour de Kyoto.
    Un excès de confiance fait croire aux guerriers qui ont refoulé les Mongols que le Japon bénéficie désormais d'une protection divine. Le régent en profite pour faire passer dans son giron les seigneurs de l'Ouest qui ne le sont pas encore. Mais, tous vont se montrer, à la longue, insatisfaits. Car, comparablement aux chevaliers occidentaux à la même époque, ils se sont endettés pour s'armer, en vue d'une victoire qui, cette fois, ne leur rapporte aucun avantage matériel. En effet, le shogunat n'a plus de nombreux domaines confisqués à redistribuer à ses partisans, comme il l'a fait après les guerres de 1185 ou de 1221. Et les mécontements ainsi suscités sont annonciateurs de la déliquescence du régime de Kamakura.Sans parler des religieux qui estiment être bien mal récompensés pour avoir contribué à sauver l'archipel grâce au vent divin invoqué par leurs prières...

    Avant de se voir reprocher de ne rien faire pour enrichir ses vassaux victorieux à la guerre, le régent HOJO jouit encore d'assez de prestige pour arbitrer, en 1272, une querelle de succession. Celle-ci oppose deux fils du défunt empereur retiré GO SAGA, à la tête d'une branche aînée et cadette de la famille impériale

    , dans lesquelles seront dorénavant choisis en alternance les empereurs. Ce différend sera à l'origine, au siècle suivant, de la confrontation d'une cour dite du Nord et d'une cour dite du Sud, pourtant issues de la même dynastie impériale.

    En 1318 intervient l'accession au trône de GO DAIGO, de la branche aînée, résolu à faire retrouver à la fonction impériale son pouvoir et ses fastes d'antan. Après avoir mis fin à l'institution de l'empereur retiré (insei), facteur de division dans le passé, il regroupe des forces afin d'attaquer frontalement les HOJO et les mener a leur perte.


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    La période de Heian

     

    La domination politique et culturelle des Fujiwara (794-1068)

    En 794 est achevée Heian, construite près de Heijo (Nara) et calquée - comme cette cité, presque un siècle plus tôt - sur le modèle de la Chang'an des monarques chinois TANG. Heian (Kyoto) allait rester la capitale impériale jusqu'en 1868.
    SAKANOUE no Tamuramaro (758-811) est SAKANOUE no Tamuramaroenvoyé par la cour impériale pacifier le nord-est du Honshu (Shotoku) et repousser les populations aborigènes (Ainu). L'empereur KAMMU crée alors pour lui, en 797, le titre appelé à un grand avenir de "général en chef contre les barbares" (sei i tai shogun, abrégé en shogun). Ses conquêtes sont parachevées par BUN'YA no Watamaro (763-821).
    Au début du IXe siècle sont fondées deux nouvelles sectes, qui trouvent leur inspiration dans des écoles chinoises ésotériques du Bouddhisme. Contrairement aux monastères de Nara, dont l'influence envahissante a conduit à un changement de capitale, celles-ci offrent des perspectives d'illumination spirituelle et de salut, accessibles à un plus grand nombre. Il s'agit de la secte Tendai (d'après la secte chinoise du Tiantai), créée par le moine SAICHO (767-822), fondateur du temple Enryaku-ji sur le mont Hiei, au nord-est de Kyoto ; ainsi que de la secte Shingon (de la "Vraie Parole"), créée par le moine KUKAI (774-835), fondateur du temple Kongobu-ji, sur le mont koya, au Sud-Est de la capitale. Toutes deux vont domineKukair la vie religieuse au Japon pour les trois siècles à venir et sont à l'origine de nombreux établissements religieux. Les moines créateurs des deux sectes ont pu partir étudier en Chine, en faisant partie d'une des ambassades visitant les empereurs TANG. Mais après 838, l'envoi de ces dernières est interrompu, et l'archipel nippon connaît une phase de repli sur lui-même.

    Dans le courant du IXe siècle, la famille des FUJIWARA s'approprie de plus en plus les rênes de l'État, au détriment de la dynastie régnante, bien que les FUJIWARA descendent paradoxalement des NAKATOMI, prêtres shintoïstes de la cour, qui avaient contribué en 645 à renforcer la puissance impériale en éliminant le clan SOGA probouddhiste.
    Toutefois, selon un schéma politique typiquement japonais, qui devait se reproduire souvent dans l'histoire du pays, le clan alors dominant des FUJIWARA préfère gouverner en coulisses. Sans porter atteinte au prestige moral et religieux attaché à la personne de l'empereur et, à plus forte raison, sans tenter de le supplanter. Même si, dans les faits, ce dernier n'occupe plus qu'un rôle purement honorifique.

    Le moyen trouvé par les FUJIWARA pour s'emparer du pouvoir consiste pour le chef du clan à marier ses filles à de jeunes empereurs, incités à abdiquer après avoir eu un héritier. Le grand-père FUJIWARA devient alors "régent de minorité" (sessho) durant le jeune âge du nouvel empereur, puis "régent de majorité" (kampaku) du souverain devenu adulte.
    En outre, les membres de la famille FUJIWARA, qui croît de façon pléthorique avec le temps, s'accfuchiwaraaparent les plus hautes charges de l'État. De plus, en se faisant attribuer de grands domaines fonciers défiscalisés dans tout l'archipel, ils deviennent plus riches que la lignée impériale elle-même.
    Les FUJIWARA atteignent le sommet de leur gloire avec FUJIWARA no Michinaga (966-1028), beau-père de plusieurs empereurs et détenteur du pouvoir réel, qui donne le ton et lance les modes à la cour impériale de son temps. Celui-ci aurait inspiré à la dame MURASAKI Shikibu le prince protagoniste de son célèbre roman, Le Dit du Genji.

    Car, si des troubles et des famines agitent les provinces, voire la capitale, la cour y vit en vase clos. Plutôt qu'imiter strictement la Chine, elle commence à développer les caractéristiques d'une culture brillante typiquement nippone. Au point que, pour les Japonais d'aujourd'hui, le période de Heian représente le temps fort de leur histoire nationale, souvent idéalisé par la suite. Les courtisans, caparaçonnés de nombreuses couches de riches vêtements, y sont soumis à l'observance d'une stricte étiquette. Les hommes, lettrés, délaissent les armes pour s'adonner à la calligraphie ou composer des vers en chinois. Les femmes rédigent journaux et romans, contribuant à la constitution d'une littérature en langue japonaise, facilitée par l'invention des deux syllabaires hiragana et katakana (caractères chinois simplifiés).

    Le régime des empereurs retirés (1068-1156)

    Jusqu'à 1068, les FUJIWARA restent maîtres du Japon. Mais leur suprématie commence à décliner avec l'avénement de GO SANJO. Cet empereur présente la caractéristique, alors exceptionnelle, de n'entretenir aucun lien familial avec ces derniers.
    GO SANJO s'applique à restaurer une autorité impériale indépendante de l'influence des FUJIWARA. Il abdique bientôt volontairement (1072) et fait mine de se retirer dans un monastère. En fait, il se libère ainsi des tâches accaparantes liées à la fonction d'empereur et des intrigues de la cour, pour mieux exercer le pouvoir par l'entremise de son héritier monté sur le trône à sa place. Mais, GO SANJO meurt trop rapidement (1073) pour réaliser toutes les réformes qu'il a en tête.

    Néanmoins, son oeuvre politique est reprise par son fils SHIRAKAWA (règne : 1073-1086) et ses successeurs, qui institutionnalisent ce mode de gouvernement des empereurs retirés (insei). L'empereur retiré, depuis son monastère (in), devient donc le régent de parenté de l'empereur en titre par ligne masculine, et non par les femmes comme dans le système instauré précédemment par les FUJIWARA. Outre le fait qu'il conserve la réalité du pouvoir, le premier constitue, en parallèle, sa propre cour, une clientèle, et cherche à restaurer les finances de la famille impériale dans le but de contrecarrer les FUJIWARA.
    Significativement, l'une des mesures parmi les plus importantes prises par GO SANJO avait consisté à créer un bureau de contrôle des titres domaniaux, souvent illégaux. Afin d'enrayer la réduction constante des domaines impériaux au profit des grands manoirs (shoen) des familles aristocratiques, dont les FUJIWARA, et des monastères bouddhistes et shintoïstes.

    Cependant, la maison impériale n'en demeure pas moins divisée. Notamment quand, par le biais d'abdications successives, plusieurs empereurs retirés sont amenés à coexister en même temps. Des rivalités similaires existent au sein des FUJIWARA, très nombreux, et les opposent aussi à d'autres grandes familles aristocratiques de la cour. Ce qui explique que la capitale, Kyoto, où se concentrent tous ces pouvoirs rivaux, connaisse de nombreux troubles. D'autant que, peu sûre, elle est parfois menacée par les brigands.
    En outre, les monastères, pour protéger leurs intérêts et s'imposer, contre d'autres monastères, voire contre l'empereur, se mêlent au jeu politique. Ils entretiennent des troupes de moines-soldats, qui n'ont de bonze que le nom, et recourent à toutes les armes à leur disposition, y compris des palanquins porteurs de reliques sacrées, objets de la dévotion populaire. Ainsi, les adeptes du temple Enryaku-ji du mont Hiei ou des monastères de Nara viennent-ils faire des démonstrations de force dans la capitale. Face à de telles situations, empereurs et familles aristocratiques de courtisans raffinés, qui ne disposent pas de réelles forces armées à leur service, ont de plus en plus recours, même s'ils les méprisent, à des clans de guerriers venus de leurs domaines provinciaux.

    Ces guerriers (), appelés plus tard samourai (au sens premier : serviteurs armés de la noblesse), constituent alors une nouvelle classe. Elle est issue, à l'origine, de cadets des grandes familles aristocratiques partis chercher fortune et se mêler aux notables locaux dans les provinces, parfois reculées, y menant une vie de pionnier. Même s'ils conservent un souvenir idéalisé de la cour, ces guerriers vont conquérir progressivement leur liberté d'action par rapport à celle-ci en adoptant un mode de vie plus rustique centré sur le métier des armes : équitation, tir à l'arc et escrime.
    Dans les régions excentrées par rapport à la capitale où ils sont installés, ils instaurent une nouvelle société. Celle-ci tend à s'approprier les terres et vers la féodalité, avec la création de liens de vassaux à suzerain organisés au sein de ligues de guerriers (bushidan), consolidées par des mariages. Ces organisations sont destinées à combattre un seigneur concurrent, des bandits, des pirates ou les incursions ainues dans les marches du Honshu.
    Théoriquement dépendants des grandes familles aristocratiques comme les FUJIWARA, des clans guerriers comme les TAIRA (ou HEIKE) et les MINAMOTO (ou GENJI), qui descendent de branches cadettes de la lignée impériale, sont de plus en plus autonomes de fait. Ils ne demandent qu'à revenir à Kyoto se mêler des rivalités de la cour, voire à appuyer l'un ou l'autre des empereurs retirés.

    L'ascension des guerriers (1156-1192)

    Au gré d'allégeances fluctuantes, les TAIRA et les MINAMOTO servent donc les empereurs retirés ou les FUJIWARA, combattant les moines-soldats ou les pirates de la Mer Intérieure. Mais des querelles de succession entre empereurs retirés au sein de la maison impériale et des oppositions au sein de la famille des FUJIWARA vont aboutir à deux affrontements successifs dits troubles de "l'ère Hogen" (1156) et de "l'ère Heiji" (1160), auxquels participent ces clans guerriers.
    Au terme de ces combats, les TAIRA, évinçant les MINAMOTO, se hissent brutalement à une position dominante dans la capitale, qu'ils vont occuper de 1160 à 1180. Leur chef TAIRA no Kiyomori (1118-1181), déjà le plus important des seigneurs des provinces, se fait attribuer les postes les plus honorifiques de la cour, et reprend à son compte la tactique matrimoniale des FUJIWARA. Il devient ainsi le grand-père de l'enfant-empereur ANTOKU.
    Préoccupé de fortifier son pouvoir neuf à Kyoto, en s'insinuant dans les rouages de l'État, Kiyomori tente aussi de développer le commerce avec la Chine des SONG sur les côtes de la Mer Intérieure, qu'il contrôle. Mais il parvient moins bien à affermir son autorité sur les bouillants lignages de guerriers des provinces.

    D'autant qu'après 1160, il a commis l'erreur d'épargner un fils du chef défait des MINAMOTO, MINAMOTO no Yoritomo (1147-1199), confié à un vassal des TAIRA, HOJO Tokimasa. Parmi ses autres frères survivants, son demi-frère MINAMOTO no Yoshitsune (1159-1189), est élevé dans un temple près de Kyoto, promis par contrainte à l'état de moine.
    Parvenu en âge de combattre, Yoritomo saisit le prétexte d'un différend entre la maison impériale et les TAIRA pour se rebeller et se venger. Après avoir retourné ses gardiens, les HOJO de la péninsule d'Izu, il s'installe à Kamakura, dans le Kanto (maintenant région de Tokyo), fief où ont été confinés après 1160 les partisans des MINAMOTO. Pour la première fois, cette province de l'est du Honshu commence à jouer un rôle central dans l'archipel.

    De 1180 à 1185, une guerre oppose les TAIRA et les MINAMOTO, durant laquelle Yoritomo se montre un fin politique agissant en retrait. Depuis Kamakura, il rallie à sa personne une coalition d'opposants aux TAIRA et, au fur et à mesure que ses armées avancent vers l'Ouest, gagne au bushidanMINAMOTO le soutien des seigneurs à la tête des ligues locales de guerriers. Il s'emploie également à assurer la richesse de son clan en favorisant le commerce du port de Kamakura avec la Chine.
    En 1181-1182, la sécheresse provoque une famine qui touche plus durement les régions de l'Ouest, et donc davantage les soldats des TAIRA qui y cantonnent. L'année suivante, ceux-ci évacuent Kyoto prise par un parent et rival de Yoritomo, KISO Yoshinaka (1154-1184). Mais ce dernier est battu par Yoshitsune qui se montre, sur le terrain, un brillant général et tacticien oeuvrant pour son demi-frère resté à Kamakura. Yoshitsune défait aussi à Ichi no Tani (1184) les troupes des TAIRA, qui retraitent toujours plus à l'Ouest. Il ne reste plus alors aux TAIRA que leur puissance navale, anéantie à la bataille de Dan no Ura (1185), dans le détroit entre Honshu et Kyushu, où périt le jeune empereur ANTOKU et la fine fleur du clan TAIRA.
    Yoritomo se brouille alors avec le très admiré - et devenu très encombrant - Yoshitsune. Celui-ci est poursuivi et acculé au suicide avec les siens. Une branche des FUJIWARA du nord du Honshu qui l'avait soutenu contre son demi-frère est aussi éliminée par la même occasion (1189).

    Pendant les siècles à venir, les chansons de geste, la littérature - notamment le Dit des Heike - et le théâtre japonais, vont s'inspirer des combats épiques entre les TAIRA et les MINAMOTO. Une place particulière y sera faite au preux Yoshitsune, archétype du paladin du Japon médiéval, sorte d'équivalent du Roland de Roncevaux occidental.
    Yoritomo reste seul vainqueur, s'imposant comme un nouveau pouvoir face à l'institution impériale et au gouvernement antique de Kyoto. Il se fait reconnaître par la cour, a posteri, des pouvoirs étendus en matière de maintien de l'ordre, qu'il exerce déjà de fait dans tout l'empire.
    En 1192, pour honorer le nouvel homme fort venu de l'est du Japon, l'ancienne zone "retardataire" au contact des Ainu, l'empereur remet en vigueur le titre de shogun (sei i tai shogun ou "général en chef contre les barbares" ).


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    Le modèle chinois

     

    L'introduction du bouddhisme (538/552 - 645)

    L'histoire du Japon ancien, ou royaume du Yamato, ne débute réellement qu'avec l'introduction du bouddhisme, en 538 ou 552 ap. J.-C. selon les sources. Il n'est alors qu'un État aux structures assez primitives, dont la cour est divisée par des rivalités claniques. Il ne domine encore que partiellement les trois îles de Honshu, Kyushu et Shikoku. Pour fortifier son unité et étendre son influence à tout l'archipel, il va s'appuyer, tout en conservant ses spécificités, sur le modèle politique que lui offre la Chine et sur une doctrine religieuse importée : le bouddhisme.
    Fondé au VIe siècle av. J.-C., dans le nord-est de l'Inde, par un prince népalais, Siddhartha Gautama (Bouddha) , le bouddhisme s'appuie sur une philosophie qui vise à l'extinction du désir, source de souffrances, dans le but d'atteindre l'"éveil" et la suprême félicité (nirvana) permettant de s'affranchir du cycle des réincarnations. Il donne lieu à la création de nombreuses écoles réparties en deux branches principales, nommées le Petit et le Grand Véhicule, et se diffuse dans différentes parties de l'Asie, dont la Chine et la Corée actuelles.
    À partir du début du IIe siècle ap. J.-C., la Chine des HAN installe des commanderies et influence grandement la péninsule coréenne. Celle-ci, outre le Mimana (ou pays de Kaya) bientôt conquis par les Japonais d'alors, est divisé en trois royaumes antagonistes : Koguryo, Silla et Paekche. En 538 ou 552, le roi de ce dernier fait partir pour Asuka – l'une des premières capitales du Yamato, située près de l'actuelle Nara – une mission diplomatique sollicitant l'alliance de son souverain. Le monarque du Paekche envoie notamment une lettre vantant les mérites de la nouvelle religion, des rouleaux de saintes écritures, et une représentation de Bouddha. Malgré cette introduction officielle du bouddhisme au Japon, il y est certainement connu depuis au moins le siècle précédent, amené par des réfugiés coréens, voire chinois ; les mêmes qui ont contribué à la sinisation culturelle croissante de l'archipel. L'esprit de tolérance du bouddhisme s'accorde d'ailleurs bien de la préexistence de croyances locales (shinto), voire favorise les syncrétismes.

    Mais son adoption contribue à aggraver au Yamato les rivalités claniques qui opposent les NAKATOMI, prêtres shintoïstes de la cour et les MONONOBE, guerriers favorables aux croyances autochtones, aux SOGA, tenants de la nouvelle religion. Au point que, si certains historiens font des SOGA une famille issue de la plaine du Yamato, d'autres leur attribuent une origine coréenne.shotoku
    SOGA no Iname, chef des SOGA qui s'est appuyé sur le changement pour accentuer sa puissance, occupe une position dominante équivalente à celle de premier ministre du souverain du Yamato. Il accapare en fait la réalité du pouvoir au profit de son clan, tout en se gardant de remettre en cause l'existence de la dynastie régnante. Un tel schéma politique allait se répéter constamment dans l'histoire du Japon.
    Après la mort de YOMEI, monarque du Yamato, et les luttes de succession qui s'ensuivent, SOGA no Umako, fils d'Iname, défait les MONONOBE et les NAKATOMI à la bataille de Shigisan (587). Il fait intrôniser SUSHUN, fils de YOMEI de mère SOGA, puis le fait assassiner et remplacer par une parente, SUIKO. Un certain nombre de femmes vont d'ailleurs ainsi régner jusqu'à la fin du VIIIe siècle. Mais un autre fils de YOMEI, également de mère SOGA, SHOTOKU Taishi (572-622) est nommé prince héritier et régent. Grâce à SHOTOKU, homme politique, saint bouddhiste et lettré familier des classiques chinois, la nouvelle religion renforce ainsi son statut de religion d'État, aux côtés du shinto. Les membres de la cour et de la noblesse clanique s'y rallient en grand nombre. En 593, le premier grand temple bouddhique, le Shitenno-ji ou "temple des Quatre Rois gardiens", est fondé (actuelle Osaka). D'autres suivront, construits sur des modèles coréens.

    Après une longue période de division, l'empire chinois réunifié retrouve à ce moment toute sa magnificence sous la dynastie SUI (581-618), puis leurs successeurs les TANG (618-907). La cour du Yamato va s'inspirer du modèle politique offert par la Chine et échanger avec cette dernière de nombreuses ambassades (600-838) qui entraînent l'arrivée dans l'archipel de moines, d'artistes, d'artisans chinois et de textes bouddhiques.
    Dans ses relations avec la Chine, le monarque du Yamato est, pour la première fois, désigné sous le nom de tenno, encore en vigueur aujourd'hui. Plus que l'appellation occidentale d'empereur, il désigne un "Souverain céleste", assimilé à l'étoile polaire. Entre alors également en usage le mot Nihon (Japon), grosso modo le pays du Soleil levant. Le temps va être désormais mesuré en ères, plusieurs intervenant parfois sous le règne d'un même empereur.
    Vers 603-604, SHOTOKU institue à la cour, sur le modèle de la Chine et de sa culture prestigieuse, un système de "rangs" et de fonctions distingués par le port de chapeaux de différentes couleurs. Mais les cadres du système administratif de l'État vont rester plutôt des membres de la grande noblesse clanique acquérant leur fonction par la naissance plutôt que par le mérite comme les mandarins chinois recrutés par concours.
    On attribue également à SHOTOKU la promulgation d'une "Constitution en dix-sept articles" inspirée par le confucianisme et le bouddhisme. À sa mort, selon les chroniques japonaises, l'archipel compte "46 monastères, 816 moines et 569 nonnes". Mais le premier bouddhisme japonais se cantonne aux cercles aristocratiques et aux communautés monastiques. Il ne va se diffuser que lentement parmi le peuple.

    Le renforcement du régime impérial (645-710)

    Après la mort de SHOTOKU, les SOGA gagnent encore en puissance, se retournant même contre son héritier, qu'ils assassinent. Ils constituent de plus en plus un danger pour la dynastie régnante. Mais ils sont finalement éliminés par une conspiration qui vise à consolider le régime impérial (645). Le coup de force est dirigé par NAKATOMI no Kamatari, dont le clan avait été évincé un temps par les SOGA, et le prince NAKA no Oe. Celui-ci, futur empereur TENCHI, préfère exercer le pouvoir réel en coulisse et laisse pour le moment le trône à son parent KOTOKU (règne : 645-654).
    Dès lors, toute une série de réformes et de codes, inspirés de la Chine des TANG, vont être instaurés afin de renforcer l'autorité impériale et de doter le Japon d'un gouvernement centralisé. Ainsi, les réformes de l'ère Taika (du "Grand Changement") réaffirment le principe de primauté de l'empereur et de l'appartenance au seul État de la terre et des hommes. Les grandes familles, dont on veut ainsi réduire le pouvoir, doivent se contenter, en principe, de charges de fonctionnaires et de compensations financières.

    Une nouvelle organisation administrative et son personnel sont également mis en place. Les régions entourant la capitale forment une circonscription particulière, nommée le Kinai. Le reste des territoires de l'archipel sous la domination de l'empereur forme sept provinces divisées en "pays", "préfectures" et "villages" de cinquante familles. En outre, le Kyushu connaît une forme de gouvernement militaire particulier.
    Une division de la société en classes sociales est fixée : l'aristocratie, le peuple des hommes libres, constitué par la masse des paysans, et les "gens vils" (semmin), descendants d'anciens esclaves. Une répartition par découpage géométrique des terres, en fonction du nombre de bouches à nourrir par famille, révisée périodiquement par des recensements, est aussi instaurée. Une telle rationalisation vise à optimiser la collecte centralisée de l'impôt, payé en nature, riz et tissu (développement de la sériciculture). Les paysans doivent des corvées à l'État, tâches agricoles et périodes de garde militaire, notamment dans l'est du Honshu, encore insoumis à la cour à l'époque. Parmi les autres mesures prises sous le règne de KOTOKU pour réduire la puissance de la grande noblesse clanique, un édit interdit la construction de nouvelles tombes monumentales privées (fin des kofun), dont la splendeur portait atteinte au prestige impérial.

    Peu après, les relations que le Japon entretenait avec la Corée connaissent une fin brutale car il doit y faire face à une intervention des Chinois et au royaume coréen de Silla. Ce dernier, déjà vainqueur du Mimana en 562, va bientôt réaliser l'unité de la péninsule à son profit. Une flotte japonaise envoyée à l'aide de son rival le Paekche est défaite à la bataille d'Haksukinoe (663) . L'empereur TENCHI fait bâtir de nouvelles fortifications dans l'archipel afin de prévenir une éventuelle invasion chinoise.
    Aussi, l'établissement d'un pouvoir fort va se poursuivre, sous le règne de TENCHI (662-672) et, après une querelle de succession et la mise au pas de nobles non encore soumis, sous celui de son frère TEMMU (673-686). Les réformes de Taika trouvent des améliorations dans celles du code Taiho (701).
    Au tournant du VIIe siècle, le Japon dispose donc d'un gouvernement centralisé, imité des institutions chinoises, dont les caractéristiques vont perdurer très longtemps. À sa tête, se trouve l'empereur et le Grand Conseil d'État, avec son premier ministre et deux ministres, l'un de la Droite et l'autre de la Gauche, chapeautant une administration divisée en huit départements. Bien que le bouddhisme fasse alors figure de religion officielle, la présence d'un département du culte shinto dans les plus hautes sphères de l'État marque cependant la spécificité nationale du Japon.

    La période de Nara (710-794)

    En 710 est achevé la construction de Heijo (Nara). La nouvelle ville, bâtie sur le modèle de Chang'an, la capitale des TANG, forme presque un carré, avec un palais impérial au nord, une large avenue qui coupe la cité en deux à partir du sud de cet édifice et des rues qui se coupent en angle droit. Elle occupe une position stratégique centrale dans l'archipel facilitant la transmission des ordres et le recouvrement de l'impôt. 
    Pour la première fois, le Japon se dote d'une capitale qui se veut permanente. Auparavant, les interdits religieux liés à la souillure faisaient changer de capitale après la mort de chaque souverain. Mais les rouages de l'État deviennent trop lourds pour tolérer de continuels déménagements.Les premières pièces de monnaie japonaises, en cuivre, font également leur apparition à ce moment (708).

    Le Kojiki et le Nihon Shoki, chroniques achevées respectivement en 712 et 720, assoient la légende nationale de l'origine divine de la dynastie impériale. Les lettrés de la cour écrivent en chinois, langue des intellectuels. Mais une littérature proprement japonaise, utilisant les caractères chinois, commence à se développer avec, notamment, le Man'yoshu, une anthologie de plus de 4500 poèmes d'auteurs appartenant à toutes les couches de la population.
    Une grande Statue de Bouddha (Daibutsu) et le temple en bois du devant l'abriter (749-752) sont construits à Nara. L'enceinte de ce dernier accueille également bientôt le "musée" (Shoso-in) des collections de l'empereur SHOMU (règne : 724-749) : des objets précieux venus de Chine, d'Asie mineure, Perse et Inde par la route de la soie. Ce monarque généralise aussi la fondation de temples bouddhiques d'État dans tous les territoires sous son autorité.
    Cependant, malgré la nationalisation des terres au siècle précédent, qui visait à réduire la puissance des grandes familles, celles-ci se constituent de vastes domaines exemptés de taxes, du fait du défrichement de nouvelles terres, des donations impériales et de mesures gouvernementales contradictoires. Ainsi, les NAKATOMI, rebaptisés FUJIWARA par faveur impériale d'après le nom d'une éphémère capitale de la fin du VIIe siècle, occupent une place éminente et marient leurs filles aux souverains.Les monastères bouddhiques bénéficient aussi de dons de grands domaines défiscalisés de la part de pieux empereurs et impératrices, constituant de plus en plus un nouveau pouvoir et un danger pour la dynastie en place

    Le phénomène est amplifié par une ordonnance de 743 qui reconnaît la propriété privée à perpétuité des nouveaux territoires, formant des manoirs (shoen), gagnés à l'agriculture par défrichement, notamment dans l'est du Honshu, au dépens des peuples aborigènes. 
    D'autant que les paysans préfèrent échapper à un impôt impérial trop lourd en se plaçant sous l'autorité des nobles et des institutions religieuses. Par ailleurs, vers la fin du VIIIe siècle, ils voient supprimer leurs corvées militaires. Ce qui va renforcer la formation, avec le temps, d'une nouvelle classe de guerriers professionnels, recrutés parmi les cadets des grandes familles et la petite noblesse.
    À Nara, des rivalités opposent six grandes écoles (sectes) bouddhiques, héritières de courants de pensée chinois. Ces divisions sont d'ailleurs entretenues par des bonzes originaires du continent.
    Un moine guérisseur appelé DOKYO, Raspoutine de son temps, exerce son ascendant sur une impératrice régnante, fille de SHOMU, mais est banni quand il tente de s'approprier le pouvoir. Il est alors décidé que les femmes ne pourront plus monter sur le trône.
    Les empereurs KONIN (règne : 770-781) et KAMMU (règne : 782-806) vont tenter de réduire la puissance des monastères. Un nouveau déménagement de Nara vers une autre capitale est même décidé pour échapper à leur influence.


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